L'inauguration de l'école Emile MASSIO

La Municipalité a décidé de donner à l’école de Buzet-sur-Tarn le nom d’Emile Massio. Il est bon que la population connaisse les raisons de ce choix. Il est des moments, dans la gestion d’une Cité, où les décisions prises comportent une forte charge symbolique.
Emile Massio est un des rares maires fusillés en France durant l’Occupation.

Inoguration école Emile Massio

On reconnaît notamment, de droite à gauche, Claude MASSIO, petit-fils d'Emile, tenant le ruban : André LAUR, Conseiller général, avec les ciseaux : Jean-Claude CARRIE, Maire de Buzet, Gérard BAPT, Député, et Laurent MASSIO, fils de Claude MASSIO.

Émile Massio symbolise une grande partie des valeurs qui ont fait la France républicaine.
"Massio". Voici un nom "à consonance". C’est qu’il appartient à une famille d’origine italienne, sans doute venue et demeurée en France dans les bagages de Catherine de Médicis, au milieu du XVIème siècle. Les Massio incarnent ainsi, comme beaucoup d’autres, la tradition d’accueil des étrangers dans notre pays. Ce qu’on appellera plus tard "l’intégration".

Emile Massio

Emile Massio

Emile MASSIO, ou le citoyen soldat

Pur produit de l’école républicaine, Émile Massio savait parfaitement lire et écrire, bien que d’origine modeste, puisque fils d’agriculteur et futur agriculteur lui-même. Une prouesse politique à l’époque que cette alphabétisation et cet accès du savoir pour tous, une prouesse encore aujourd’hui dans beaucoup de pays, y compris peut-être le nôtre…

Mais l’école d’alors ne se contentait pas d’alphabétiser les jeunes ou de les pénétrer des valeurs des droits de l’homme, elle leur apprenait aussi à se battre, si nécessaire, pour sauvegarder ces valeurs. Le citoyen devait donc savoir se muer en combattant pour la Liberté, l’Egalité, la Fraternité, combattant physique, à la guerre, combattant symbolique, en politique. Émile Massio allait devenir les deux.

Bien que marié et père de deux enfants, Adolphe et Pierre, Etienne Massio est mobilisé en 1914. Il a 31 ans. En 1915, sous les ordres d’un certain Charles de Gaulle, alors lieutenant, qui n’hésite pas à lancer des attaques contre les ordres attentistes du commandement, Massio participe à l’assaut de Mesnil-les-Hurlus, commune de la Marne qui comptait encore 97 habitants en 1911 et qui n’en comptera plus aucun après la Guerre, anéantie par les combats. Sur ce champ de bataille, Émile Massio est blessé d’un éclat d’obus. Cela lui vaut d’être "cité à l’ordre du régiment". Mais, sitôt rétabli, on le renvoie au front. En 1917, il est une deuxième fois blessé. Un corps-à-corps sanglant. Un coup de baïonnette allemande lui transperce le bras gauche. Il en gardera des séquelles à vie. Triple drame : pour l’homme, tout d’abord, blessé dans sa chair, pour le gaucher ensuite, obligé de devenir droitier, pour le musicien enfin, obligé d’abandonner le trombone à coulisse pour un trombone à piston. Pour cela, pour tout cela, il reçoit la médaille militaire.

Emile MASSIO, blessé, à l'hôpital de guerre, tout en haut, deuxième en partant de la droite.

Emile MASSIO, blessé, à l'hôpital de guerre, tout en haut, deuxième en partant de la droite.

Dans la Cité de BUZET

La guerre est finie. On croit alors que c’était la "der des der". La France, écrira de Gaulle dans ses "Mémoires de guerre", "reprend d’un pas vacillant sa marche vers son destin". Et le travail reprend, aussi. Très dur. Très longtemps. Mais il permet à Émile Massio d’acheter des terres, de faire construire, après avoir été, sur Mezens, fermier du comte de Solages. La "terre d’élection "des Massio s’appelle Buzet. La vie de la Cité l’intéresse. Aussi. Et Buzet-sur-Tarn, à l’époque, est bien une Cité, un lieu de rencontre de personnes différentes, comptant un curé, des instituteurs laïcs, un receveur des PTT, un chef de gare, un notaire, un vétérinaire, des forgerons, des maçons, des charpentiers, des plâtriers, un bourrelier, des menuisiers, un entrepreneur de travaux publics, des tailleurs, un empailleur de chaises, des grossistes en fourrage, des bouilleurs de crus, des entrepreneurs de battage, un assureur, un antiquaire, un sabotier, des charrons, un vitrier, des marchands de confection, une matelassière, trois mécaniciens, un cordonnier, des marchands de légumes et de fruits, des pépiniéristes, des laitiers, un étameur, nombre de commerçants ambulants, deux salons de coiffure, une boulangerie, deux boucheries, une station service, trois cafés, quatre épiceries... et ses nombreuses exploitations agricoles.

l'Union Philharmonique de BUZET. Emile MASSIO est à gauche du fanion, casquette "en bataille".

l'Union Philharmonique de BUZET. Emile MASSIO est à gauche du fanion, casquette "en bataille".

Emile MASSIO, Conseiller municipal, Adjoint, puis Maire

Émile Massio se présente au Conseil municipal. Il est élu le 17 mai 1925. Dix ans plus tard, en octobre 1935, décède Odon Gary, "l'adjoint "au maire (car, alors, il n'y avait qu'un adjoint, plus deux délégués sur huit, puis dix conseillers). Émile Massio succède à Gary. Il est désormais "monsieur l'adjoint au maire". Et quand Bernard Lacassagne, premier magistrat de la commune depuis 1908 malade, doit renoncer à son mandat, après 32 ans de service, Émile Massio accepte la charge. "Charge", le mot n'est pas trop fort : nous sommes le 28 novembre 1940. Il n'y avait pas de volontaires. Et comme Émile Massio était "monsieur l'adjoint au maire"...

Le modeste agriculteur succède au brillant ingénieur des ponts-et-chaussées. Gloire de la République méritocratique, dans laquelle chacun peut prétendre être élu, puisqu'électeur. Mais Émile Massio n'avait pas attendu d'être conseiller, puis adjoint, enfin maire, pour toujours porter la cravate et être "impeccablement mis" dès lors qu'il n'effectuait pas ses travaux des champs.

Emile MASSIO, Maire de guerre

1940. On le comprendra, les années ne sont pas aux grandes réalisations pour un maire. Pourtant, Émile Massio veut, et Émile Massio obtient, le 17 janvier 1941, qu’on installe le téléphone dans les bureaux de la mairie. Émile Massio veut, et Émile Massio obtient, le 6 juillet 1941, qu’on crée une caisse des écoles. Cette caisse, est-il précisé dans l’article 1er de ses statuts, a pour but de faciliter la fréquentation des classes par des récompenses, sous forme de livres utiles et de livrets de Caisse d’Epargne, aux élèves les plus appliqués et par des secours aux élèves indigents ou peu aisés, soit en leur donnant les livres et fournitures qu’ils ne pourraient se procurer, soit en payant leurs frais de scolarité, soit en leur distribuant des vêtements et des chaussures et, pendant l’hiver, des aliments chauds". Émile Massio veut, et Émile Massio obtient, le 6 juillet 1941, qu’on construise un terrain de jeux à l’école. En ces temps rudes, il s’agit d’aider au mieux la population à endurer les malheurs de la Guerre et nombre de délibérations du conseil municipal sont votées pour distribuer une assistance médicale gratuite aux femmes en couches (en sus des primes d’allaitement), aux enfants, aux aliénés, aux vieillards infirmes.

C'est ainsi qu'Émile Massio conçoit son rôle de maire, officiellement et officieusement. C'est pour cela qu'il doit rester, pour une population essentiellement agricole et qui se voit confisqués ses chevaux ou collectés ses métaux non ferreux pour fabriquer des armes allemandes. Une population soumise aux tickets de rationnement. Dès lors, sous le contrôle tâtillon de la Préfecture, le maire va organiser le plus équitablement possible la distribution de ces tickets pour le pain, le sucre, la viande, le beurre, le café, les chaussures... Les bals interdits, certains jeunes cependant en organisent de clandestins. Et le maire ferme les yeux, exigeant cependant la discrétion. Les jeunes. Toujours. Il évite à certains d'entre eux d'être réquisitionnés, d'abord au front, avant la "Débâcle", ensuite pour les "chantiers de jeunesse", où il s'agit de travailler pour l'Allemagne, mais en France, puis le Service du Travail Obligatoire, où il s'agit, cette fois-ci, pour certains, d'aller travailler en Allemagne. Ainsi, Émile Massio enfourche-t-il sa bicyclette, et passe-t-il dans les fermes, dans les maisons, dans les immeubles, pour prévenir que "les gendarmes passeront demain". Se vautrant dans la Collaboration, Vichy s'enlise donc dans l'antisémitisme. Le 3 octobre 1940, le statut des Juifs exclut ceux-ci de la fonction publique, de l'armée et de l'enseignement avant tout, mais aussi de la presse, de la radio, des professions libérales. Dès 1941, les rafles commencent, par des policiers, par des gendarmes français. C'est bientôt l'étoile jaune, la déportation, la "shoah".

Emile MASSIO, Maire martyr

Une des dernières photos d'Emile MASSIO.

Alors Émile Massio aide à cacher des Juifs, dont la petite Micheline Muhleman, qui lui vouera une reconnaissance éternelle, à lui et à sa famille. Émile Massio laisse faire, encore, des faux papiers pour les résistants, qu’il connaît, dont Charles et Ferdinand Gendre, Jean et Joseph Porta, Gaston Ravary, Jean Bénazet ou son propre fils, Adolphe Massio. Bientôt, les nazis commencent à recevoir des lettres anonymes. Une d’entre elles dit ceci :
"A monsieur le chef Orstkommando de Montastruc,
Je vous signale la mairie de Buzet. Il y a complot contre les Allemands. On facilite le passage pour le maquis. Le fils du maire embauche recrues pour le maquis et on y donne de faux papiers
".

Infiltrés par le "renard noir", les résistants buzétois sont bientôt arrêtés. Forts des renseignements recueillis, les nazis raflent Adolphe Massio, parce qu’il est résistant. Ils arrêtent aussi Émile Massio, parce qu’il aurait aidé à la Résistance et parce que, de toutes façons, il est le maire d’une commune qui abrite des résistants.

Une des dernières photos d'Emile MASSIO

Une des dernières photos d'Emile MASSIO

Le 6 juillet, à trois heures du matin, les nazis frappent à sa porte, lui ordonnent de les suivre, ainsi que son fils, bousculé à cette occasion parce qu’il "tarde "à obtempérer. Depuis moins d’une heure, Adolphe venait de rentrer de la gare, qu’un décret lui imposait, à lui et à ses concitoyens, de surveiller pour signaler toute action de "sabotage".

Après avoir assisté au supplice des Porta, à Bordegrande, Émile Massio est conduit au château de la Palmola, en compagnie de son fils, de Ravary, de Bénazet, des Gendre, d’Escoffre et de Favarel. On connaît la suite. En partie. Battus, torturés sous le soleil brûlant de ce 6 juillet 1944, les hommes, moins Favarel, ne parleront pas. A chaque question musclée, Émile Massio parle à ses compagnons d’infortune. Il leur dit : "garçons, ne parlez pas !". En patois, pour que les nazis ne comprennent pas. Et pourtant, les fils sont torturés devant les pères pour qu’ils parlent et que les pères parlent. Et les pères devant les fils pour qu’ils parlent et que les fils parlent. Technique de l’atroce. Intelligence sadique.

Adolphe MASSIO

A 17h30, la femme d’Émile Massio est prise d’un pressentiment quand elle entend des coups de feu. Elle a vu juste. Tragiquement. Les corps sont laissés sur place, éparpillés. Ils seront retrouvés le 10 juillet, par hasard, par un chercheur de champignons. Mais qui sont-ils tant ils sont amochés ? On va chercher monsieur Rivière, le secrétaire de mairie, unijambiste depuis la guerre de 14. Il les identifie, essentiellement grâce à leurs vêtements. Un ami proche des Massio, Jacques Carrié, ramène les corps de ses amis, dans un tombereau tiré par un cheval.
La gestapo interdit toutes obsèques officielles. Pas de fleurs non plus. Le jour de l’enterrement, 150 SS encadrent la famille, un ami, le curé de Bessières et son enfant de chœur.
Le 15 février 1945, le secrétariat Général des Anciens Combattants notifie au nouveau maire de Buzet qu’il a "l’honneur de (lui) faire connaître qu’il y a lieu d’inscrire la mention "MORT(S) POUR LA FRANCE" dans l’acte de décès de monsieur MASSIO Émile" et de "monsieur MASSIO Adolphe".