Jeannette MAC DONALD
Une star à BUZET, et un lion, une hyène, une panthère, un tigre dans la forêt...
Eté 1970: le Maire, Jean-Pierre DECAVELE, réunit le Conseil municipal de BUZET pour que celui-ci examine une demande singulière: celle d'installer un zoo dans la forêt. Voyant en cette entreprise un bon moyen d'attirer du monde à BUZET, les élus acceptent.
Bientôt arrivera sur les lieux Jeannette MACDONALD, une "enfant de la balle", "née dans la sciure" comme elle aime à le rappeler ("Mon grand-père, mon père, ajoute-t-elle, étaient déjà dompteurs en ECOSSE et je suis rentrée dans la cage à six ans avec mon père, et seule à quatorze ans"), une belle dompteuse poussée à la retraite par l'incendie de son cirque qu'avaient refusé d'indemniser les assurances, Jeannette jadis connue pour son spectacle aux dix lions, dans les cirques AMAR, PINDER ou BOUGLIONE, et ce dans le monde entier. C'était le temps où elle partageait la vedette avec le clown Achille ZAVATTA, où, même, elle avait fait du cinéma, profitant, sciemment, d'une homonymie avec une célèbre actrice hollywoodienne.
Joël FAURÉ, écrivain buzétois adhérent d'ACTA et qui a bien connu la dame, raconte:
"Jeannette MACDONALD a mis au point un numéro basé sur la complicité et l'amour porté à ses bêtes. Seule, face à un groupe de dix fauves -neuf lionnes et un lion-, elle exécute avec grâce et élégance des "coups" spectaculaires : elle place sa tête dans la gueule d'un fauve comme elle examinerait une stalactite dans une grotte ; elle porte sur ses épaules une lionne, comme elle porterait une écharpe ; elle échange un baiser langoureux avec le roi des animaux... Comment ne pas être sous le charme ? Sa prestation a quelque chose de sensuel, d'érotique presque".
Pierre LARTIGUE, fondateur du Grand Cirque de TOULOUSE se souvient : "Dompteuse d'une rare élégance, portant culotte de cheval, bottes noires vernies, chemisier de soie blanche, mains gantées de blanc, Jeannette avait une allure princière qui fascinait les fauves et les hommes. Elle était vraiment très belle, et on ne savait plus s'il y avait dix lionnes ou onze, tant elle était arrivée à s'incorporer à ses bêtes."
A BUZET, elle va présenter au public le lion BRUTUS, la hyène ELSA, un ours, une panthère ou un tigre, lointain écho de la fameuse UHLAH, dont le parrain était Maurice CHEVALIER Autour de ce noyau fauve, graviteront singes, poneys, chèvres, grues, poules, canards, chiens ou chats. L'abattoir de LAVAUR nourrira les carnassiers de carcasses, les paysans de BUZET offrant une précieuse paille, une fois tues les quelques réticences mues par la peur qu'une bête ne s'échappe.
Dans son ouvrage, "Les fauves et leurs secrets", Jim FREY, fameux dompteur écrivain, consacre un chapitre à Jeannette MACDONALD et rappelle:
"Le clown de la bande est un canard de Barbarie que Jeannette appelle DONALD. Il préside aux repas de la gent canine. Une fois la soupe tiède servie, DONALD se fraye un chemin pour arriver au plat, fait la police et distribue coups de bec et coups d'ailes aux impatients. C'est le chef du protocole de ces agapes affamées.
Aucun des chiens ne lui manque de respect.
Souvent, un visiteur, croyant faire de l'esprit, demande à Jeannette MACDONALD, en voyant évoluer dans la cour les animaux comestibles :
- Oh, les beaux civets. Quand les mange-t-on ?
- Je pensais que vous étiez autre chose qu'un tube digestif, dit-elle, et son regard indique nettement qu'une retraite prudente est encore préférable au risque de se faire jeter dehors".
Une photo très symbolique de Jeannette MACDONALD et du lionceau TARASS, à BUZET, signée Gilles FAVIER
Dès 1973, "l'Arche de NOÉ" est ouverte tous les dimanches et jours fériés, sauf en hiver, et le monde afflue. Mais, bientôt, l'affaire s'épuise, les caisses se vident, les hivers rigoureux font souffrir les bêtes, dénutries depuis que s'est retiré l'abattoir de LAVAUR, impayé. Quelques "gestes" de certains Buzétois ne sauveront pas le navire en perdition et BRUTUS, ELSA, etc. seront finalement vendus au cirque BOUGLIONE. Les soixante-dix ans passés, Jeannette MACDONALD sombre, au milieu de chiens et chats des alentours qu'elle avait recueillis systématiquement, mais, sur la fin, laissés sans aucun soin. Jean-Michel FAURÉ, Maire des temps mauvais pour la dame du drame, accepte qu'elle demeure sur les lieux, dans sa roulotte de bohémienne, quand bien même elle n'a plus le droit d'y être.
En 1996, ses bêtes mortes les unes après les autres, Jeannette écrit à l'abbé PIERRE, qui lui répond, la réchauffant de ses mots et d'une couverture en patchwork, tricotée par les Chiffonniers d'EMMAÜS. La vieille dame se souvient, c'était il y a quarante-deux ans:
"L'hiver, on s'arrête à AUBERVILLIERS. Là, elle connaît l'abbé PIERRE. Et pendant le terrible hiver 1954, elle lui offre deux caravanes. Il en a besoin pour ses 'sans logis'. « Depuis, racontait-elle, l'abbé PIERRE est souvent venu me voir. Souvent avec un voyou qui s'était attaché à lui. Et auquel j'ai appris le métier de dompteur. Parfois l'accompagnait quelque délinquant sorti de prison, qu'il me demandait d'embaucher. Je le prenais, même si je n'avais pas besoin de lui. Ca lui évitait la rue sans rien faire ».
Le zoo de Buzet sur Tarn
Est toute proche alors la seule mâchoire qui l'aura jamais vraiment mordue : celle de la mort.
Mais laissons le beau mot de la fin à Joël FAURÉ, comme un hommage à quelque crépusculaire complicité:
"Le temps a fait son affaire. Le public d'aujourd'hui, blasé, saturé d'images et de sensations, n'est guère plus impressionné par un lion obéissant, tout obnubilé qu'il est par la neige de ses ordinateurs, et des monstres pixelisés qu'il dompte avec de vulgaires souris !
Mais il ne serait pas étonnant, une fois le tonnerre mécanique et virtuel des nouveaux médias passé, de revenir à des valeurs simples et fortes, véhiculées par des savoir-faire séculaires."
Une des dernières photos de Jeannette MACDONALD, à la maison de retraite de GRENADE